Réponse à Kevin Grangier

Message de Kevin Grangier (UDC), 7 février 2017 :

Merci à Nadine Richon d’ouvrir le débat suite à cette émission. Il me semble impératif d’approfondir mon propos car je n’ai pas été suffisamment clair sur le plateau de Faut pas croire.
Il n’y aucune volonté de capter le religieux au profit de la politique mais seulement la volonté politique de combattre l’obscurantisme islamique qui challenge les républiques et démocraties occidentales. A mes yeux, un des éléments de réponses est d’affirmer la laïcité de nos institutions politiques et d’imposer la primauté de l’héritage culturel de notre pays face à des habitudes et pratiques culturelles différentes.
Je ne suis donc pas le fossoyeur de la laïcité, tel que Nadine Richon le suggère. Je ne revendique pas le retour des princes-évêques. Je le souligne même dans l’émission quand j’affirme qu’imposer l’Evangile serait une « dérive inacceptable ». Je ne peux pas être plus clair. Il n’appartient pas à un parti ou à une autorité politique d’imposer l’Evangile. Néanmoins, affirmer la primauté de la culture indigène – historiquement chrétienne – sur des cultures religieuses étrangères n’est en rien incompatible avec la laïcité de nos institutions.
Nadine Richon m’accuse de vouloir prendre tout le monde sous la bannière du christianisme, même les athées. C’est une nouvelle erreur d’appréciation de sa part car en ouverture d’émission, il est clairement indiqué que 80% des Suisses estiment que la Suisse est un pays « chrétien ». Or, il n’y a pas 80% de croyants dans notre pays. Ce chiffre s’explique parce que de nombreux Suisses ne pratiquent pas une religion définie mais se reconnaissent malgré tout dans la culture chrétienne. Combien de fois n’a-t-on pas entendu de parfaits athées déclarer « aussi longtemps que les chrétiens ne pourront pas construire d’église en Arabie, ils ne pourront pas construire de mosquées ici ». C’est le principe d’égalité cher aux révolutionnaires français qui vole au secours des chrétiens. Amusant, non ?
Je n’ai donc pas cherché à m’accaparer les athées, mais je me réjouis évidemment que la grande majorité d’entre eux reconnaissent une forme de primauté culturelle chrétienne à la Suisse. En lisant Nadine Richon, j’ai le sentiment qu’elle n’admet pas que l’on puisse se définir en tant que « chrétien » sans toutefois pratique la religion chrétienne. Lors du débat, Blaise Menu a déclaré « c’est le christianisme sans le Christ » et je lui donne raison. Une grande partie des gens se reconnaissent culturellement comme chrétien sans pour autant professer une des confessions chrétiennes. Religieusement parlant, ça pose plein de question mais politiquement non.
En fait, prenons un peu de recul sur ce débat. Si on parle à nouveau de religion dans le débat politique, ce n’est pas à cause des églises chrétiennes ou de revendications catholiques ou protestantes. Si on parle à nouveau de religion en politique, c’est parce que notre mode de vie est défier par l’islam partout dans le monde. L’erreur que ne doit pas commettre Nadine Richon, le Réseau laïc romand et tous ses proches c’est de mettre bêtement toutes les religions dans le même paquet et de vouloir les traiter sur le même pied d’égalité. Les religions ne se valent pas et leur rapport à l’autorité laïque ne peut leur être imposé sans leur consentement. L’islam impose à ses sujets de soumettre le monde à la volonté d’Allah, à ses lois, préceptes et directives pour prétendre au salut éternel. Le Christ demande la libre conversion du cœur et ne soumet personne à des préceptes et des directives religieuses.


Réponse à Kevin Grangier, 8 février 2017 :

La laïcité new look

Kevin Grangier, à vous lire, on se retrouve dans une merveilleuse BD médiévale, quelque chose entre Games of Thrones et la Quête du Saint-Graal avec des Hobbits qui sautillent à droite et à gauche de la scène. La moyenne basse, en somme, de l'imaginaire médiéval contemporain, avec des tatouages, des jeans à trous et des bretelles.
Léger problème : votre menu DVD saute l'épisode de la réalité historique. Car fort heureusement, la Suisse n'est plus une tribu d' « indigènes » hirsutes appliquant à coups de hache la politique étrangère de Clovis. C'est même plutôt, depuis 1848, un Etat libéral moderne dans lequel les lois civiles dominent définitivement les règles morales, religieuses ou non. Ce qui est bien l'un des principes de la laïcité, même si notre constitution ne l'est pas. Et cela vaut pour l'islam comme pour toutes les autres croyances ou incroyances. Lesquelles se trouvent bel et bien, dans cette configuration, dans le même paquet, exactement, sans aucun privilège pour aucune, fût-elle l'un de nos nombreux christianismes...
Et pas seulement les religions, du reste, sans quoi la laïcité ne serait qu'une variété d'athéisme. Or on peut être laïque et croyant. Quand vous prétendez que le Réseau laïc (sic) romand traiterait « bêtement » (merci pour nous) les religions en les mettant « sur le même pied d'égalité » (re-sic), vous ne démontrez là encore rien d'autre qu'une gigantesque ignardise : d'abord, la laïcité ne relève pas d'on ne sait quelle « culture ». Elle est universelle (Inde, Mexique, Uruguay sont laïques), et relève de la politique. Elle ne distingue pas entre religion et irréligion. Un Etat laïque n'est pas plus athée que chrétien : il est neutre, d'un terme latin qui signifie « ni l'un, ni l'autre ».
Ensuite, il ne s'occupe que du droit, des lois démocratiquement débattues et adoptées qui s'imposent évidemment à tous. Concernant la religion ou son absence, il se déclare incompétent et indifférent. Il s'abstient, tout simplement. Non par mépris, mais pour mieux garantir aux différents groupes convictionnels les mêmes libertés. A condition bien sûr que tous daignent obéir au code pénal et renoncent à s'égorger pour leurs paragraphes sacrés, comme ils l'ont fait pendant si longtemps. Or les privilèges que vous entendez accorder au seul christianisme (et lequel, d'ailleurs ?) nous ramèneront à ces guerres-là. C'est ce que veut l'islamisme ? Mais bien sûr. Et pour lui résister, vous voudriez l'imiter, au mépris du droit ? Vous êtes sûr de vouloir devenir identique à votre adversaire ? La vraie lutte du moment n'oppose pas les chrétiens supposés aux musulmans fantasmés, mais la civilisation à la barbarie.
Le "libre consentement du coeur", ses dégâts, ses victimes
Votre Moyen Age 2.0 comporte un autre inconvénient fâcheux. Voyez-vous, pour être dans le vrai, il ne suffit pas d'être «décomplexé». C'est une très belle chose sans doute que ce «libre consentement du coeur» que vous évoquez – et dont vous vous foutez en réalité complètement, comme presque tout le monde dans nos sociétés de plus en plus sécularisées. A ceci près, comme vous le dites dans un bel aveu, que « religieusement parlant, ça pose plein de questions, mais politiquement non » - j'ai très bien compris – et si ça, ce n'est pas une captation du religieux, alors je ne sais pas ce que c'est.
Le «libre consentement du coeur», parlons-en : vous laissez un peu vite de côté les joies sans mélange que cette heureuse disposition christique a apportées aux Cathares ; aux juifs, en plus des musulmans, durant nos héroïques Croisades ; aux protestants durant la Saint-Barthélémy ; aux anabaptistes que Zwingli noyait par grappes dans la Sihl ; aux Indiens d'Amérique du Nord génocidés avec la bénédiction des missionnaires ; aux républicains ou aux simples civils espagnols fusillés au nom du Christ-roi du caudillo Franco. Aux femmes, dites. Demandez à nos arrière-grands-mères. A l'immémoriale file de toutes ces femmes, bonnes chrétiennes, et parce que bonnes chrétiennes esclavagisées par les hommes, épuisées par le travail, harassées par les maternités innombrables que leur commandaient leurs curés et que leurs flanquaient leurs mâles. Etonnez-vous que les meilleures défenderesses de la laïcité soient des femmes...
Last but not least, à tous les peuples colonisés, qui ont déjà amplement goûté, je vous l'assure, aux avantages sans nombre de « l'héritage culturel de [notre] pays ». Suivant lequel des générations de Sénégalais ont dû accepter, non sans une certaine surprise je pense, d'évoquer leurs «ancêtres les Gaulois ». Sans parler du plus grave : huit millions de morts au Congo, par exemple, pour fournir en caoutchouc le très catholique roi des Belges... Je suis sûr que tous ceux-là ont dû longuement méditer sur ce « libre consentement du coeur » que vous chantez avec tant de trémolos, et une si belle conviction. Si toutefois ils en ont eu le temps. Ou l'envie.
C'est bien à cela que vous voudriez revenir ? Dites ?
L'éternelle confusion islams/islamisme
Ensuite, je vais vite autant par esprit d'économie que par lassitude devant cette scie universelle : tout comme les islamo-gauchistes, vous confondez islamisme et islams. Oui, cela doit s'écrire au pluriel. Car si les islamistes sont tous musulmans en effet – et de préférence sunnites wahhabites, malheureusement pour tous les autres – tous les musulmans sont très loin d'être islamistes. Ne serait-ce que parce qu'ils sont les premières victimes de cette doctrine totalitaire. En Occident, nous avons nos victimes innocentes, qu'il s'agit non seulement de ne pas d'oublier bien sûr, et auxquels il faut rendre justice, bien sûr, sans états d'âme. Mais les musulmans en sont dans ce règlement de compte interne à la bagatelle de quatre millions de morts. Il y a en effet des dizaines de façons d'être musulman (chi'ites - c'est-à-dire ismaéliens, alaouites, duodécimains ou zaïdistes ; sunnites, c'est-à-dire hanafi, hanbali, malékites ou salafistes ; soufis, mutazilites, kharidjites, je fais vite, là aussi...). A vouloir fantasmer l'islam comme un bloc, alors qu'il ne l'est pas plus que le christianisme, et donc à considérer, selon le bon vieux principe de généralisation abusive, que tous les musulmans sont identiques, on va en effet aggraver l'islamophobie, et donc rejeter les musulmans dans les bras du fascisme vert. C'est exactement ce à quoi il veut parvenir. Tout comme vous, en vérité. Car vous vous nourrissez l'un l'autre. Vous avez tous un tel besoin d'une bonne guerre, au fond. Comme si c'était le seul moyen d'égaler enfin Papa, ce Papa trop absent dont tout un pan de votre génération pleure si âprement l'absence...
Les glissements progressifs de la "culture"
Quant à la culture, pardon, mais là aussi je vais devoir compliquer un peu les choses. Voulez-vous parler de son sens universel, qui regroupe l'ensemble des arts, des techniques et des savoirs humains ? Cela vaut pour toutes les civilisations du monde. Les religions y figurent, évidemment. Sauf qu'elles n'en détiennent pas le monopole. Nombre de nos connaissances sont profanes, et ne doivent rien à la religion seule. Elles ont même dû s'en libérer pour vivre. Voyez Galilée. Voulez-vous parler plutôt de son sens anthropologique de « façons d'être », de coutumes, d'usages locaux (la culture polynésienne, la culture japonaise etc.) ? Là, c'est l'inverse : la religion, qui nourrit depuis des millénaires la réflexion humaine, ne peut se résumer à une façon de manger, de prier ou de porter un tissu sur le crâne. Même si tant de religieux ont si souvent confondu la foi et la discipline.
Mais je crois que je sais ce que vous entendez par là, parce que j'ai bien observé le stratagème depuis mon petit balcon laïque, et depuis longtemps.
Etant donné que les religions ne peuvent plus se manifester comme autrefois par de strictes observances auxquelles plus personne désormais n'est contraint de se plier – et comme en conséquence églises et temples se vident – elles ont choisi de changer leur fusil d'épaule. Nouvelle transfiguration, nouvelle assomption. Saisissant au vol la théologie des multiculturalistes, elles se présentent maintenant sous les espèces avantageuse de la «culture». Peu importe laquelle des deux acceptions l'emporte. On ne va pas finasser. Il ne s'agit pas de connaissance, mais de pouvoir. Il suffit qu'elles retrouvent de la sorte leur légitimité sociale perdue. Ainsi, l'Immaculée Conception ou l'infaillibilité papale perdent-elles leur aspect ringard de dogmes sévères : elles s'abritent maintenant sous les brocarts sompteux de la «culture». Ainsi, la relégation islamiste des femmes dans l'espace privé, à côté des plantes vertes et des animaux domestiques relèvera-t-elle aussi de la «culture». L'interdiction de l'avortement, en Pologne et ailleurs ? «Culture !» L'excision ? «Culture" encore ! Ce que c'est que la «culture», ici ? Rien d'autre que le retour sournois des pires obscurantismes sous des habits nouveaux. L'Inquisition, mais en baskets.
Imposture et mensonge
Vous, à l'UDC, vous allez plus loin, il est vrai. Votre dernière affiche, moralement ignoble mais surtout mensongère, le montre assez. Votre conception du multiculturalisme reconnaît bien les diversités, certes. Mais au lieu de vouloir les fondre dans un grand barbecue candide façon « bobo-tong-développement-durable», vous préférez, vous, séparer les races. Car vous y croyez, aux races. Vous y croyez encore. Vous ne pouvez pas ne pas y croire : elles sont tout ce qui vous rassure. Tout ce qui vous conforte dans l'assurance d'être quelque chose dans un monde où chacun craint n'être plus rien, parce qu'on a laissé les mauvaises personnes aux commandes trop longtemps. Mais remplacer les mauvaises personnes, n'est-ce pas, surtout si elles roulent en Cayenne et si ce sont elles qui vous font miroiter un stage, c'est difficile. Pas indiqué pour un plan de carrière. Qui vous reste-t-il donc, sur qui cracher ? Les étrangers, voyons, ou une autre religion, comme si la religion était une nationalité. Taper sur moins fort que soi, et sur les autres. Comme depuis toujours votre bord en fait ses choux gras.
Votre multiculturalisme pourrait s'énoncer ainsi : nous sommes tous différents. Donc nous ne pouvons plus communiquer. Donc restez chez vous.
Cette entourloupette n'est pas neuve, elle remonte à Alain de Benoist, du club de l'Horloge, dans les années septante. Vous l'ignorez sans doute. En attendant, ça vous convient bien. Ça vous va comme un gant sur une main dressée vers le haut. Ou vers le bas. Elle a rampé jusqu'à vous, si l'on ose dire au vu des crânes de certains de vos affidés, par capillarité. A vous aussi, comme pour les Eglises curieusement, la «culture» vous ramène aux vieux remugles. Votre vieux racisme biologique est mort : vive le racisme «culturel», fils cadet de la frénésie et de l'ombre. Voilà comment vous reconduisez vos très anciennes, très archaïques et très ridicules obsessions, en nourrissant à la louche tout le peuple grandissant des angoissés du temps de crise.
De la religion, vous ? Laissez-moi rire. Votre religion est une insulte à tant de croyants paisibles ou inquiets, qui sont mes amis, et dont la foi est si ancrée qu'ils ne songent pas une seconde à l'imposer à autrui. Ceux-là, moi l'agnostique, je les défendrais férocement si besoin était. Même et surtout contre vous.
Non, ce n'est pas la foi ni la bonne foi qui vous intéressent, Kevin Grangier. C'est le pouvoir que leur simulacre permet d'obtenir. Vous usez donc pour parvenir à vos fins du mensonge et de l'imposture, vous exploitez l'ignorance et la souffrance des plus précarisés par le système même que vous défendez par ailleurs fidèlement, le petit doigt sur la couture du pantalon. Tout est bon pour parvenir, y compris les plus basses oeuvres, tout ce qui fait en somme le fond de boutique repoussant de ce que vous appelez un parti, et que nous autres laïques continueront toujours à appeler une horde.
Vous savez pourquoi ?
Parce que pour nous, vous combattre vous ou combattre l'islamisme, c'est exactement la même chose. C'est combattre la bêtise et la barbarie qui reviennent pour assommer encore un peu plus le pauvre monde, qui vit si souvent son enfer sur cette terre déjà.

Yves Scheller


Emission "Faut pas croire" du samedi 4 février, TSR
La Suisse est-elle un pays chrétien ?

Le message de Kevin Grangier cité plus haut était une réponse à un commentaire de Nadine Richon à propos de cette émission, posté sur FaceBook.

Commentaire de Nadine Richon :

Quand un politicien affirme que la Suisse repose sur des valeurs chrétiennes, il ne fait rien d'autre qu'une captation de la religion au profit de la politique. Le fait qu'il soit lui-même croyant n'y change rien.
Au PDC le fossoyeur de la laïcité s'appelle Gerhard Pfister. A l'UDC Vaud, Kevin Grangier s'y colle. Sur la RTS, dans l'émission Faut pas croire, il a cherché à mettre tout le monde sous sa bannière y compris les athées, qui seraient selon lui culturellement attachés aux églises, aux croix et aux fêtes chrétiennes. En somme il réduit la religion à un phénomène patriotique et à la joie d'avoir congé à Noël. Cette piètre vision n'était pas celle – et pour cause – du pasteur genevois Blaise Menu, partisan de la laïcité précisément pour que la religion puisse s'épanouir sur son propre terreau et ne soit pas aplatie sur l'autel de la politique.
En somme on ne serait avec Kevin Grangier pas si loin de la crainte qui anime les islamistes face à la sécularisation. Le spirituel est propre à la religion, on n'y touche pas, dit-il, fort bien mais ce n'est pas en enrôlant tout le monde sous un drapeau – j'allais dire un voile – qu'on pourra sauver une religion et raviver le spirituel.
Ne risque-t-on pas plutôt d'appauvrir une religion en l'associant aussi étroitement à une identité culturelle, aux habitants d'un pays qui, au nom du passé, de l'histoire, devraient se reconnaître lointainement mais prioritairement dans la chrétienté? Laquelle d'ailleurs? Fixée à quelle époque? Pour ceux qui veulent vivre la religion au présent, c'est pas gagné...