Lettre à un djihadiste

Alors tu t'apprêtes à tuer des gens que tu appelles mécréants et à mourir en martyr. Quel martyr? Celui que tu fais vivre à ta famille? Ton père est un Turc qui a fait sa vie en France. Tu es né dans ce pays. Tu n'as jamais dû traverser la mer au péril de ta vie, apprendre une nouvelle langue, faire un minimum d'effort. C'est ça ton malheur, tu n'as rien fichu en classe. Tu es un égoïste élevé dans les images de Walt Disney et maintenant tu rêves d'un cheval ailé sorti du Coran pour te balader dans le ciel.

«Je veux du vin, des femmes et du miel», dis-tu, croyant les trouver au paradis. Ma parole, tu viens de France, le pays du vin et tu crois trouver mieux au paradis? Et les filles ici et maintenant, pourquoi ne les vois-tu pas avec bienveillance? Sous ta foutue barbe, je devine un beau garçon. Aucun problème de ce côté. Alors quoi? Ton père musulman a alerté la police quand il a appris ton projet de partir en Syrie. Ton père vient te voir en prison, il t'aime, il pleure. Tu n'as rien foutu, ni école, ni boulot et maintenant tu veux en jeter la faute sur tout le monde. Tu me diras, le fils Sarkozy n'a pas brillé non plus, par exemple, et son père lui ouvre des portes. Hé oui, la vie c'est pas le Rocher de Monaco pour tout le monde, tu n'avais pas pigé ça? C'est du boulot la vie. Et c'est l'amour des tiens, de ton petit frère, l'amour que tu es en train de piétiner dans ton égoïsme.

Maintenant je ne suis pas d'accord de dire que tu es juste un sale type désaxé, fou, bon pour le trou. Au trou on doit te mettre, nous devons nous protéger de tes projets maléfiques. Mais te juger tel un monstre déconnecté de l'islam je ne suis pas d'accord. Tu n'écoutes plus les imams, les sages, certes. Tu as choisi l'islamisme salafiste, que tu crois plus authentique, toi l'enfant de Walt Disney, du Mac Do et de tant de trucs vachement «authentiques». Mais en fait tu ne l'as pas choisi, il est venu à toi à travers les réseaux sociaux, la modernité, la puissance financière des états matriciels du terrorisme. Cet islamisme voyou, sans lecture ni réflexion, t'a promis le paradis et tu l'as cru. Il a dit beaucoup de mal de la vie en Occident et tu l'as cru.

Si tu avais pu consulter le «Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France», de l'historien Pascal Ory, tu aurais su que ce pays a été, est encore, une grande terre d'accueil. Pour ton père par exemple. Mais tu n'as pas voulu écouter telle enseignante qui t'a forcément tendu la main, ou telle autre personne rencontrée au cours de ta courte vie, tu as préféré les ombres de l'internet. Tu n'es pas un monstre déconnecté. Le radicalisme s'est emparé de toi mais, bien avant toi, de pans entiers du monde musulman, Salman Rushdie l'avait déjà dit il y a des décennies. Bien d'autres intellectuels aussi. Mais personne n'a cru bon de te prévenir toi, le gamin de 20 ans, celui qui n'a jamais entendu parler de Rushdie ni d'aucun intellectuel musulman. Les uns t'ont intoxiqué le cerveau, les autres, nombreux, laissent faire par ignorance, par peur, par impuissance. Tu es le dommage collatéral de la lâcheté planétaire.

Nadine Richon